*Journal personnel*
Aujourd’hui, en rentrant chez moi, j’ai eu un choc…
Il y a six mois, on m’avait offert un petit chaton que j’ai nommé Foudre. Ma nièce, qui venait me rendre visite de temps en temps avec sa famille, l’avait trouvé dans la rue. En me le confiant, elle m’avait dit :
— Tu vis seul. Tu n’arrives pas à te caser. Ton métier est stressant, conducteur de bus. Rentrer chez toi et avoir quelqu’un qui t’attend, ça fait du bien. Les chats, ça apporte du réconfort, de la tranquillité…
Et voilà, j’y ai cru. Pourquoi pas, après tout ? Rentrer épuisé après une journée de stress, des passagers irritables et des automobilistes qui ne savent pas partager la route, et trouver ce petit être allongé sur le canapé, ronronnant, demandant des caresses…
Bien sûr, vous l’aurez deviné, chers lecteurs, j’étais naïf. Foudre n’a pas répondu à mes attentes. De chaton docile et charmant, il s’est transformé en adolescent turbulent. Les câlins ? Très peu pour lui. Mais faire des bêtises ? À volonté !
Par inexpérience, j’avais acheté une tapette à mouches pour éliminer ces insectes agaçants, petites bestioles virevoltantes ou grosses mouches dites, je ne sais pourquoi, « charbonnières ».
Et Foudre m’observait, attentif, étudiant mes gestes. Comme s’il enregistrait chaque détail. Puis un jour, il a décidé de me faire plaisir. Et il y a réussi…
Revenons donc au moment où tout a commencé.
***
J’ai poussé la porte de mon appartement et… stupéfaction. Plus rien n’était à sa place. Le désastre était tel qu’on aurait pu croire qu’une bande de voyous avait tout saccagé à coups de battes.
Les chaises renversées. Les vases, verres et tout ce qui trônait sur la table, les étagères ou la commode, gisaient maintenant au sol, éparpillés en éclats de verre, de céramique, de plastique…
Les rideaux ressemblaient aux lambeaux d’une robe trop frivole, et dans la cuisine… Le ketchup se mêlait aux cornichons et à la confiture. Des petites montagnes de sel, de sucre et de poivre s’étalaient avec soin. Fourchettes et cuillères jonchaient le sol. Les rideaux de la cuisine, arrachés avec leurs tringles, reposaient dans ce charmant capharnaüm. Et sur la table, complètement vidée…
Siégeait Foudre, l’air ravi, devant une mouche. Une énorme mouche, grande comme un avion. Il me regardait d’un air triomphant, ronronnant de satisfaction.
Eh oui ! Maintenant, j’allais le féliciter. Toute la journée, il avait couru partout, épuisant ses petites pattes à traquer cette intruse. Il l’avait enfin attrapée ! Et il méritait bien une récompense.
À cette pensée délicieuse, Foudre s’est mis à pétrir l’air avec ses pattes.
J’ai relevé une chaise et me suis assis, ne sachant par où commencer. Ranger, dîner, gronder Foudre ? Mais je n’ai pas eu le temps de réfléchir longtemps. On a sonné à la porte. En ouvrant, ma stupéfaction a redoublé.
Dans le couloir se tenaient trois policiers, et derrière eux, une dizaine de voisins. Les policiers avaient la main sur leurs armes.
— On a reçu des appels…, a commencé l’un d’eux.
— Beaucoup d’appels, a ajouté un autre. On nous a signalé du bruit, des meubles qui tombent, de la vaisselle qui se brise. Des cris, des hurlements. Pouvez-vous nous laisser entrer pour vérifier que tout va bien ? Et… par précaution… levez les mains, croisez-les sur votre tête et éloignez-vous dans le coin.
Les voisins me fixaient, mi-effrayés, mi-réprobateurs.
— Ah… Je vois, ai-je murmuré. Entrez, je vous en prie !
Je me suis éloigné, mains sur la tête. Les policiers ont inspecté l’appartement, contemplant le carnage, cherchant quelque chose.
— Qu’est-ce que vous cherchez ? ai-je demandé.
— Un corps, a répondu l’un d’eux. Et une explication.
— Un corps ? Je vais vous le montrer, ai-je acquiescé.
Les policiers se sont tendus, mains sur leurs armes. Lentement, je me suis dirigé vers la cuisine et, ouvrant la porte, ai fait un grand geste théâtral.
— Voilà le corps !
Ils m’ont bousculé pour entrer.
Le « corps » était assis sur la table, affichant un sourire insolent. Il adorait l’attention. Et devant lui… la mouche.
Un silence pesant a envahi la pièce, le temps que les policiers reprennent leurs esprits. Puis, leurs yeux se sont éclaircis. Le premier a éclaté de rire, suivi par les autres.
Ils riaient à s’en étouffer, tandis que Foudre les observait, triomphant. Son regard semblait dire : « Tu vois ? Tout le monde est content. Mon effort en valait la peine ! »
Pendant une demi-heure, les policiers ont pris des photos avec Foudre et la mouche, posant fièrement devant le chaos. Tout le monde riait, ravi. Surtout Foudre. Bien sûr ! On avait enfin reconnu son talent.
***
Une fois partis, je me suis rassis, épuisé.
— Je vais vous aider, a murmuré une voix derrière moi.
C’était Élodie, la voisine du rez-de-chaussée.
— C’est mon jour de congé, a-t-elle souri. Vous y passeriez la nuit, mais à deux, ce sera plus rapide.
— Je ne veux pas vous déranger…
— Allons ! m’a-t-elle répondu. Ça me fera plaisir. Je n’ai rien de prévu. Je vis seule, à part ma mère, qui habite pas loin. Et lui… vous allez le gronder, ce petit diable ?
Foudre, toujours sur la table, jouait avec la mouche.
— Le gronder… ai-je soupiré. Bon, d’accord.
Je l’ai pris dans mes bras :
— Méchant petit garnement ! On ne fait pas ça, tu entends ? Non, c’est interdit.
Foudre pétrissait l’air, ravi. Je le grondais si gentiment qu’il n’a pas résisté : il m’a léché la joue. Alors je l’ai embrassé sur le nez.
— C’est bien, mon chat. Tu as compris. Plus de bêtises, d’accord ?
Je l’ai reposé. Il a dressé sa queue et s’est frotté contre les jambes d’Élodie, qui riait.
— Quelle réprimande exemplaire ! s’est-elle moquée. Pourquoi ne vous ai-je jamais remarqué avant ?
— Je ne sais pas, ai-je répondu. Peut-être parce qu’avant, j’étais un type triste, et depuis que Foudre est là, je rayonne.
J’ai désigné le chaos d’un geste.
Élodie a appelé un artisan, et le lendemain, des moustiquaires solides ont été posées. Foudre pouvait désormais guetter les oiseaux… et les grosses mouches.
Pendant ce temps, Élodie et moi avons tout rangé, jeté les débris, lavé le sol, enlevé les rideaux déchirés. Puis nous sommes partis faire des courses pour en acheter de nouveaux.
Le soir, nous avons célébré avec des petits fours, un délicieux gâteau et une bouteille de champagne. Vous comprenez : c’était un peu comme un nouvel emménagement. Dans le même appartement. Mais plus seul.Et maintenant, chaque fois que Foudre sème un peu de chaos, Élodie et moi échangeons un regard complice avant de tout réparer ensemble, parce que finalement, ce petit diable a su nous rapprocher mieux que n’importe quel coup de foudre.
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