Quand ma sœur et moi étions petites, chaque 8 mars commençait par un coup à la porte et cette question : « Mesdames, êtes-vous habillées ? Puis-je entrer ? »

En chemises de nuit en coton, on criait en retour qu’on était plus que prêtes, et qu’il fallait venir vite. Bon, on savait très bien qu’il avait des cadeaux derrière son dos !

Papa entrait dans notre chambre avec deux bouquets de fleurs et deux boîtes identiques contenant des poupées pareilles. Papa avait tenté deux ou trois fois de nous offrir des cadeaux différents, mais il avait vite compris que c’était une mauvaise idée : la grande (c’est-à-dire moi) trouvait qu’on la lésait sans pitié, que la poupée de Sophie était plus belle, plus grosse et plus “luxueuse”, et la petite (Sophinou pour les intimes) était persuadée qu’on ne l’aimait pas autant, et qu’on lui donnait exprès des petites poupées pour rappeler son âge de maternelle.

Après une seule mais monumentale crise en duo, papa avait pris quelques cheveux blancs d’un coup et, depuis, il ne nous offrait plus que des cadeaux strictement identiques. Et pour Sophie et moi, le 8 mars, c’était ce jour où L’Homme Le Plus Important Du Monde venait nous voir avec des fleurs et des boîtes pour nous féliciter.

De quel genre de fête il s’agissait ? On s’en fichait. Pour nous, c’était le jour où L’Homme Aux Fleurs Et Aux Cadeaux arrivait.

À l’époque, papa était le seul homme de notre vie (bon, papy ne comptait pas, il n’était pas un homme, juste un vieux papy, vous ne comprenez pas ?). Le seul et l’unique. Il n’y en avait pas d’autres.

Puis les années ont passé.

Sophinou et moi avons eu d’autres Hommes Importants, qui nous apportaient fleurs et cadeaux le matin du 8 mars. Et bizarrement, on s’est toujours rendu compte un peu trop tard qu’on avait peut-être été un peu vite en leur donnant ce titre. Finalement, ils n’étaient pas si “hommes” que ça. Et encore moins “importants”.

Le titre revenait donc à notre père, qui le portait fièrement, sans jamais trahir la tradition des boîtes identiques. Bon, les cadeaux à l’intérieur pouvaient varier, mais les boîtes, nom d’un chien, elles, restaient toujours les mêmes !

Puis, Sophinou et moi avons eu des fils. Un chacun. Nos Petits Hommes Importants. Et tant qu’ils grandissaient, papa continuait ses devoirs du 8 mars. Parce que bon, il fallait bien attendre que nos garçons soient assez grands pour prendre le relais, non ? Et puis, ses filles attendaient toujours leurs fleurs et leurs boîtes.

Mon fils a grandi tellement vite que je ne me suis même pas rendu compte du moment où il est devenu… Le Homme Important de quelqu’un d’autre. Et le matin du 8 mars, je n’ai plus qu’un coup de fil : « Maman, bonne fête ! T’inquiète, je suis chez Sophie, je rentre dimanche. »

Mais !

Mais cet appel arrive toujours après celui de papa, qui me demande : « Ma chère dame, tu es habillée ? Prête à recevoir des visiteurs ? »

Dans la vie de chaque femme, il devrait y avoir des Hommes. Des vrais. Avec un H majuscule. Maris, fils, frères… Mais Le Plus Important, il ne peut y en avoir qu’un seul. Ce n’est pas forcément le père. Tout le monde n’a pas de père. Ni de frère. Ni de fils. Mais chacune a son Plus Important.

Celui qui, depuis des années et des décennies, marque le début du matin du 8 mars.

Pour Sophinou et moi, c’est notre père. Celui pour qui, depuis toujours, nous restons Ses Dames.

Parce que le plus important, pour une femme, c’est de savoir qu’elle est profondément aimée.

Bonne fête à toutes, à celles qui aiment et à celles qui sont aimées.

Et merci à nos Hommes Les Plus Importants pour cette journée.


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